Abondance et origine trophique de la noctuelle de la tomate Helicoverpa armigera (Hübner 1808) (Lepidoptera : Noctuidae) dans les paysages ruraux de production cotonnière au Nord Bénin.
Mots clés : protection des cultures – hétérogénéité du paysage – pratiques agricoles – plante hôte- gosspyol- tomatine – isotope du carbone- maïs – sorgho – Méthodes des moindres carrés partiels
Le défi principal des stratégies de lutte agroécologique est de concevoir des techniques de lutte économes en pesticides qui favorisent à la fois la productivité et la durabilité des agrosystèmes. Les études peuvent se faire à l’échelle de la parcelle en analysant les effets des pratiques agricoles et à l’échelle du paysage en analysant les effets des caractéristiques du paysage sur la dynamique des populations des ravageurs.
Dans le Nord Bénin (zone d’étude), les cotonculteurs sont encadrés par des programmes nationaux. Ils appliquent des programmes de traitement basés sur un calendrier prédéfini pour lutter contre les ravageurs.
Toutefois, plusieurs problèmes découlent de cette stratégie d’utilisation abusive des pesticides. Ce sont les problèmes de santé pour les agriculteurs, de pollution de l’air, des sols et des nappes phréatiques et l’apparition de gènes de résistance à certains pesticides (pyréthrinoïdes) chez les ravageurs, ce qui entraine l’érosion des rendements en coton dans cette région.
Dans ce contexte, Il est nécessaire de mettre en place des stratégies de lutte durables pour résoudre les problèmes suscités ou tout au moins ralentir la résistance des ravageurs aux pesticides, réduire la pollution tout en améliorant la qualité du coton ouest-africain.
Des chercheurs du CIRAD, en collaboration avec leurs homologues des Centres nationaux de recherche agronomique, à travers les écoles paysannes conseillées par l’Organisation des Nations Unies et la FAO (Food and Agriculture Organisation of the United Nations) ont initié les cotonculteurs à la lutte intégrée (Prudent et al. 2006) mais des efforts restent cependant à faire.
L’objectif principal de ma thèse était d’analyser les effets des structures paysagères et des pratiques agricoles sur l’abondance d’H. armigera dans les parcelles de cotonnier dans le Nord Bénin (Tsafack et al., 2013, 2016).
D’une part je me suis intéressée à l’infestation ponctuelle (comptage des larves dans la parcelle) et d’autre part à une infestation différée (abondance et origine trophique des adultes).
Quatre questions ont guidé mon travail de thèse :
- D’où viennent les populations d’H. armigera observées pendant les pics d’infestation dans les parcelles de cotonnier ? Les individus sont-ils issus des populations migrantes venant du sud du Bénin ou des populations locales ? (Partie 2)
- Quels sont les facteurs locaux (pratiques agricoles sur la parcelle) qui influencent l’infestation d’H. armigera ? (Partie 3)
- Quels sont les éléments du paysage qui ont un effet sur l’abondance du ravageur ? (Partie 3 et 4)
- Quels éléments du paysage déterminent l’origine trophique des adultes piégés dans un paysage? (Partie 4)
Une grande partie de ma thèse a été consacrée à mettre au point les méthodes qui m’ont servi par la suite pour répondre aux questions ci-dessus.
Quels sont les facteurs locaux (pratiques agricoles sur la parcelle) et les éléments du paysage qui influencent l’infestation d’H. armigera ? Tsafack et al, 2013
Sur la base de la littérature disponible sur les effets du paysage sur les ravageurs et la biologie d’H. armigera, nous avons construit un protocole en fonction du type de couvert végétal qui pouvait avoir un effet sur l’abondance des larves. Nous avions ainsi quatre types de paysages ; les paysages de grandes proportions de (i) coton ; sachant que les parcelles de coton autour d’une parcelle cible pourraient augmenter l’abondance de larves d’H. armigera dans celle-ci. (ii) maïs, sachant que c’est l’une des plantes hôtes cultivées avec (iii) la tomate ; et (iv) la végétation naturelle. En plus de ces facteurs paysagers, nous avons également retenu l’hétérogénéité sachant que H. armigera est un polyphage. La couverture végétale dans un rayon de 500 m autour de la parcelle sélectionnée a été relevée à l’aide d’un GPS et des fonds de cartes d’images Google Earth, puis digitalisée à l’aide d’ArcGIS pour extraire finalement les proportions en surface pour les analyses statistiques.
Par ailleurs à l’échelle de la parcelle, nous avons posé l’hypothèse selon laquelle (i) le sarclage manuel réduirait les infestations parce que les chrysalides dans le sol seraient détruites. Nous avons également considéré (ii) la date de semis et (iii) le précédent cultural qui pourraient influencer l’abondance de larves. Ces variables ont été relevées suite à l’enquête que j’ai menée auprès des propriétaires des parcelles de cotonnier sélectionnées.Pour mettre en évidence les effets conjoints des pratiques agricoles et de la composition du paysage, j’ai utilisé l’approche théorique de l’information développée par Burnham and Anderson (2002). Cette méthode statistique m’a permis de déterminer l’importance relative de chaque variable (pratiques agricoles et variables paysagères) pour expliquer l’abondance des larves d’H. armigera dans les parcelles de cotonnier.Il ressort de cette étude que les pratiques agricoles sont les variables les plus importantes qui déterminent l’infestation d’H. armigera dans les parcelles de cotonnier. Nous avons également mis en évidence un effet positif et significatif du précédent cultural sur l’abondance des larves d’H. armigera dans les parcelles de cotonnier sélectionnées. Les parcelles qui avaient un précédent cultural tomate étaient les plus infestées. Nibouche (1994) avait montré au Burkina Faso qu’H. armigera pouvait rester longtemps en diapause. Nous supposons donc que les parcelles de cotonnier ayant un précédent cultural tomate héritent des individus d’H. armigera diapausants, lesquels après émergence se reproduisent dans les parcelles où ils ont diapausé.
Importance relative des variables prédictives qui expliquent l’abondance d’H. armigera. (Tsafack et al, 2013)
Taux d’infestation d’H. armigera (nombre de cotonniers infestés par nombre total de cotonniers observés). Les lettres indiquent les différences statistiques du test de Mann-Whitney réalisé entre les différents précédents culturaux. (Tsafack et al, 2013)
A l’échelle du paysage, la présence de cotonnier et de tomate dans le paysage favorise l’abondance d’H. armigera. L’hypothèse de la concentration des ressources développée par Root (1973) selon laquelle les herbivores seraient abondants et susceptibles de s’installer dans les paysages à forte concentration de ressources est vérifiée dans cette étude. En effet, nous avons mis en évidence une relation significative et positive entre l’abondance des larves d’H. armigera et la proportion de cotonnier dans l’environnement paysager des parcelles de cotonniers étudiées. De même, nos résultats montrent que la proportion de tomate dans le paysage avait un effet significatif sur l’abondance des larves. Ces résultats corroborent ceux des études sur le comportement d’H. armigera pendant la ponte. Cunningham et al. (1999) et Zalucki et al. (2012) ont montré que les femelles d’H. armigera pondaient sur les sites où elles trouvaient elles-mêmes des ressources nutritives (nectar pour les adultes).
Le rôle ambivalent de la végétation naturelle.
Plusieurs études ont montré que la végétation naturelle en constituant un refuge pour les ennemis naturels favorisait une régulation naturelle des ravageurs (Chaplin-Kramer et al. 2011). L’introduction des éléments naturels dans les paysages agricoles est de ce fait préconisée par les stratégies de gestion intégrée des ravageurs. Cependant, certaines études ont montré que pour certains ravageurs comme les méligèthes (Zaller et al. 2008) ou les pucerons (Roschewitz et al. 2005), la présence des éléments naturels dans le paysage pouvait plutôt avoir un effet positif sur l’abondance des ravageurs. Notre étude montre qu’il en est de même pour H. armigera. La proportion de végétation naturelle est positivement corrélée à l’abondance des larves d’H. armigera dans les parcelles de cotonnier. Nibouche (1994) a montré qu’une adventice « Cleome viscosa » présente dans la végétation naturelle au Burkina Faso était infesté d’H. armigera dès le début de la saison de pluies. Nous n’avons pas eu l’opportunité de vérifier la composition de la végétation naturelle entourant les parcelles de cotonnier dans le nord Bénin, mais il est possible qu’elle soit composée de Cleome viscosa ce qui expliquerait l’effet significatif et positif de la proportion de végétation naturelle sur l’abondance des larves d’H. armigera.
Implications des résultats de l’étude pour la gestion intégrée d’H. armigera dans la filiere cotonnière dans le nord Bénin.
Cette étude montre l’importance des pratiques agricoles et de la composition du paysage pour l’amélioration des programmes de lutte contre H. armigera. Elle a permis de mettre en lumière l’effet des pratiques agricoles sur l’infestation de H. armigera dans les parcelles de cotonnier. Nous avons montré que les parcelles semées tardivement ainsi que celles les plus sarclées étaient les moins infestées et que le précédent cultural tomate favorisait l’infestation. De plus concernant la composition du paysage, nous avons montré que les parcelles de cotonnier entourées de paysages composés de fortes concentrations en cotonniers et celles qui étaient entourées de tomates étaient les plus infestées. Par ailleurs, la présence de végétation naturelle favorise aussi l’infestation. A l’inverse, la présence de maïs n’avait pas d’effet significatif sur l’abondance des larves. La relation étant négative, nous préconisons de privilégier le maïs autour des parcelles de cotonnier plutôt que du cotonnier ou de la tomate.
Quels sont les déterminants paysagers de l’abondance et de l’origine trophique d’H. armigera dans les parcelles de cotonnier au Nord Benin? Tsafack et al, 2016Apres l’étude des causes d’une infestation ponctuelle (étude précédente), je me suis intéressée à une infestation différée. J’ai étudié les déterminants paysagers de l’abondance et de l’origine trophique des adultes d’H. armigera. Dans cette partie de ma thèse, j’ai étudié l’influence de la composition (proportion des différentes plantes hôtes majoritaires) et de l’hétérogénéité du paysage (indice de diversité de Shannon).H. armigera est un ravageur qui peut se déplacer sur de longues distances, de l’ordre du millier de kilomètres (Feng et al. 2009) ou sur de petites distances lorsque les conditions sont favorables comme c’est le cas dans les zones tropicales. Pour comprendre les déplacements de routine peu connus pour ce ravageur et l’utilisation de la ressource dans un paysage agricole nous avons considéré la composition et l’hétérogénéité du paysage sur trois échelles 100 m, 250 m et 500 m.
Trois échelles de Buffer imbriquées de diamètre 100m, 250m et 500m centre sur la parcelle de cotonnier sélectionnée.
Nous avons sélectionné 37 parcelles (17 en 2011 et 20 en 2012) où nous avons réalisé des piégeages lumineux afin de capturer des adultes d’H. armigera. Les parcelles – les mêmes que dans l’étude précédente – ont été sélectionnées selon un gradient de diversité paysager suivant quatre critères exclusifs : ≥50% de cotonnier, ≥50% de maïs, ≥50% de végétation naturelle et la présence de parcelles de tomates tout autour.Afin de déterminer l’origine trophique des individus piégés (C3 ou C4), nous avons analysé la composition d’isotopes stables de carbone sur les ailes. Nous avons ensuite analysé le signal gossypol sur les individus qui avaient une signature C3 afin de déterminer la proportion d’individus qui avaient passé leur vie larvaire sur le coton. Le gossypol est un glycoalcaloïde spécifique au cotonnier.Pour cette étude, j’ai choisi d’utiliser la régression linéaire généralisée des moindres carrés partiels (PlsGLM, Tsafack et al, 2016).
Les résultats montrent que l’échelle de 500 m est celle qui explique le mieux l’abondance et l’origine trophique d’H. armigera dans le paysage. L’l’hétérogénéité du paysage est la variable clé qui explique le mieux l’abondance et l’origine trophique d’H. armigera dans le paysage. L’effet des plantes hôtes (cotonnier, tomate, maïs ou sorgho) est moindre et varie en fonction de l’échelle paysagère et de l’année considérées. Contrairement à ce qui était attendu, nous n’avons pas observé d’effet de la végétation naturelle ni sur l’abondance ni sur l’origine trophique d’H. armigera.Cette étude suggère que c’est davantage la diversité en plantes hôtes à une échelle de 500 m qui favorise l’abondance d’H. armigera que les plantes hôtes individuellement. La gestion du ravageur H. armigera devrait donc être considérée non seulement à l’échelle de la parcelle mais aussi en intégrant la diversité en plantes hôtes dans le paysage.
Références bibliographiques
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